Junge liest ein Buch und schaut Mädchen mit orangem Ball an.

«La nouveauté est devenue une part de nous»

«Je m’appelle Anna*, mais je suis un garçon.» C’est en ces termes que Jean* s’est présenté à ses camarades de classe. Une évidence pour lui. Sa mère, Catherine (cliente de CONCORDIA), seule à l’élever, s’est par contre retrouvée face à une situation totalement nouvelle. Aujourd’hui, l’enfant qu’elle a mis au monde et baptisé Anna se prénomme Jean.

Le quotidien d’une personne transgenre: l’illustration montre une fille se regardant dans un miroir, lequel lui renvoie l’image d’un garçon. «À trois ans et demi déjà, au jardin d’enfants, Jean se détournait des habits de fille, n’aimait pas le rose. Tout ce qui s’apparentait de près ou de loin à ce monde-là l’horripilait. Il faisait des histoires lorsque nous allions au rayon filles d’un magasin, même quand il s’agissait d’acheter une robe pour sa sœur cadette. Il ne se sentait pas du tout à l’aise dans cet environnement.» Catherine a évoqué le sujet à l’occasion d’une visite chez le médecin, qui a attribué ce comportement à une «phase». Une phase toutefois qui s’est prolongée: après quatre ans de tergiversations, Catherine en a eu assez. Fille ou garçon, elle voulait que son enfant se sente libre d’être lui-même sans devoir simuler.

Une fille en apparence, un garçon en essence

À l’école, les enseignants et enseignantes ont d’abord été dépassé·e·s par les événements. Et lorsque Jean a parlé à l’entraînement de foot de la manière dont il se sentait, les premières moqueries ne se sont pas fait attendre. «Les filles ne jouent pas au foot, tu n’as pas ta place ici... Ce type de remarques des autres enfants a passablement affecté Jean. Surtout parce qu’il ne se sentait pas être une fille», se rappelle Catherine. «Bien que pour lui ce sentiment d’être un garçon n’avait rien de nouveau, ça a été difficile pour moi au début. Jusqu’à ce que je comprenne que mon fils ne pouvait pas être lui-même et qu’il n’allait pas bien. Je lui ai donc proposé d’être un garçon à la maison. À l’extérieur, il devait pourtant continuer à jouer le rôle de fille s’il ne voulait pas le dire ouvertement à tout le monde.»

Et puis le moment est venu où il a voulu être un garçon en dehors du cercle familial aussi. Il a commencé à s’en ouvrir aux autres petit à petit, à affirmer clairement qu’il n’était pas une fille. C’est là qu’il a fallu choisir un nouveau prénom. «Il m’a demandé s’il pouvait s’appeler autrement, vu qu’Anna ne lui correspondait plus. Il a choisi Jean. Même si je m’y étais préparée mentalement, quelque chose s’est écroulé à ce moment-là. Bien sûr, je l’aime par-dessus tout. Mais mon enfant est vraiment un petit garçon maintenant. Le changement de nom a fait une grosse différence», affirme Catherine.

 

2018, une année marquée par de nouvelles expériences

Assez rapidement, tout s’est enchaîné. Jean était déjà suivi par une psychologue. L’école a d’abord organisé une rencontre avec les enseignants et les enseignantes, le directeur, un éducateur en santé sexuelle et la thérapeute de Jean. «De l’avis des éducateurs et éducatrices en santé sexuelle de l’établissement, nous étions en train de brûler les étapes. Et s’il changeait d’avis? Alors je leur ai répondu: ‹Imaginez que vous deviez enfiler une camisole de force tous les jours au moment de sortir de chez vous. C’est exactement ce que ressent mon fils. Il ne peut pas être lui-même!› Alors qu’à la maison, il s’épanouit, il doit faire semblant d’être quelqu’un d’autre à l’extérieur.»

Avant les vacances de Pâques, la Direction de l’école a envoyé une lettre aux parents d’élèves pour les inviter à une soirée d’information. Catherine était indignée: «Douze parents seulement y ont assisté – pour 24 élèves. Quelles discussions houleuses! Les reproches fusaient: les adultes s’imaginaient qu’il faudrait maintenant aussi envoyer les autres enfants en thérapie, que ça pourrait les inciter à devenir homosexuel·le·s plus tard... Je n’en revenais pas!»

 

Officiellement un garçon

Pour finir, l’école a décidé de faire aussi une réunion avec les enfants pour leur expliquer la situation de manière simple. Il en est ressorti que la jeune génération n’avait pas besoin d’explications. «Leur réaction était touchante. Peu importait que Jean soit un garçon ou une fille. C’était un bon copain, un point c’est tout. De toute façon, il y a aussi des filles qui aiment jouer au foot et des garçons qui portent parfois les habits de leur maman. Je me suis demandé pourquoi les parents ne pouvaient pas avoir cette même ouverture d’esprit.» Une petite cérémonie a alors été organisée pour dire au revoir à Anna et souhaiter la bienvenue à Jean.

À partir de là, notre petit bonhomme n’attendra pas beaucoup avant de pouvoir utiliser son nouveau nom en bonne et due forme. Les vacances d’automne étaient déjà réservées, mais Catherine s’est décarcassée pour que son fils ait son nouveau nom sur son passeport, pour obtenir les attestations et certificats médicaux nécessaires, n’hésitant pas à frapper à plusieurs portes. Elle a également rencontré une spécialiste des questions de transidentité, recommandée par la psychologue de Jean, qui a diagnostiqué une dysphorie de genre. Grâce à tous ces documents, à une lettre rédigée par Jean et par Catherine, nos deux protagonistes ont finalement vu leurs efforts récompensés: peu de temps après, en effet, Catherine tenait entre les mains le document déclarant le changement de nom délivré par l’autorité cantonale. C’était officiel, Anna était devenue Jean et pourrait voyager sous sa nouvelle identité.

 

De nouvelles expériences

«Cela pourra sembler curieux, nous confie notre maman dans un sourire, mais lorsque j’étais enceinte, j’avais l’impression que mon enfant à naître serait un garçon. Même quand les médecins m’ont définitivement annoncé que c’était une fille. En quelque sorte, je le ressentais différemment à l’époque.» Cela n’en a pas pour autant rendu les choses plus aisées une fois les premières démarches officielles effectuées. «J’ai perdu ma fille et j’ai gagné un fils. Ce n’est pas facile tous les jours, car nous ne savons jamais de quoi demain sera fait. Et je veux être forte pour mon enfant. Pour lui, tout semble aller de soi tandis que pour moi, tout est encore inconnu. Mais il est de nouveau heureux, il se gêne moins – il peut enfin se comporter comme un enfant de son âge. C’est l’essentiel!»

 

Le corps et la croissance

Pour le bonheur de Jean, sa famille est prête à sortir des chemins balisés. Car il n’y a aucun doute pour lui: un jour, il sera un homme dans tous les sens du terme, aura une femme et des enfants. Il sait aussi qu’il veut devenir chirurgien. Bientôt, il devra prendre des inhibiteurs de puberté. Ce traitement durera deux ans, puis il sera possible de passer à l’administration d’hormones masculines. Jean sait qu’il ne pourra pas effectuer sa réassignation sexuelle avant d’avoir 18 ans. Il ne comprend d’ailleurs pas très bien pourquoi. Il n’a aucun doute sur le fait qu’il voudra toujours être un garçon et qu’il ne changera pas d’avis. Pour pouvoir cheminer ouvertement vers ce changement, Catherine a souhaité que son fils ait quelqu’un à qui se confier dès le début: «il doit aller consulter sa psychologue régulièrement. Ainsi seulement, nous pouvons avancer ensemble», nous explique-t-elle.

 

Une famille soudée

Vis-à-vis des sceptiques, des détracteurs et détractrices, il faut savoir prendre ses distances. Dans le cercle familial, Jean peut compter avec le soutien de ses grands-parents même si un «Anna» leur échappe encore de temps à autre. Quant à la benjamine de la fratrie, elle a maintenant un frère en plus de ses deux demi-frères; la présence d’une grande sœur ne serait pas de trop... «Pour elle aussi, c’est une période difficile puisque nous nous occupons beaucoup de Jean – par la force des choses. Mais elle le prend bien et aide même son frère quand elle peut!», lance Catherine dans un élan de fierté.

Ce n’est pas toujours facile de donner des réponses à Jean. «Il a déjà une vision à si long terme que ça me fait un peu peur. Lorsqu’il me demande s’il pourra être père lui aussi, je ne sais parfois pas très bien comment lui expliquer quelles seront ses possibilités. Quoi qu’il en soit, je suis sûre qu’il sera un super papa!» Un jour, quand elle en aura le courage, Catherine se fera tatouer le nouveau prénom de son fils sur l’omoplate. Elle ajoute sur le ton de la plaisanterie: «Aujourd’hui, c’est écrit Anna et ça ne lui plaît pas beaucoup. Je me ferai tatouer Jean à côté d’Anna, car il n’est pas question que j’efface Anna.»

 

Un quotidien fait de nouveautés

Jean, sa petite sœur, sa mère et les autres membres de la famille savent que le chemin qui les attend sera long et difficile. Néanmoins, en racontant leur histoire, ils et elles souhaitent donner du courage à d’autres personnes. Leur montrer à quel point il est important d’être ouvert·e·s à la nouveauté et de l’accueillir sans parti pris. «Ce n’est évidemment pas facile. Nous le savons. Mais le bonheur de mon enfant passe avant tout, même lorsque cela implique de faire face sans relâche à de nouveaux défis. Peut-être qu’à travers ce témoignage, nous pouvons faire passer un message à d’autres familles dans une situation similaire: leur ôter un peu de cette peur liée à la nouveauté et leur montrer que leur cas n’est pas isolé». Et Catherine de conclure: «La nouveauté est devenue une part de nous, de notre quotidien. Nous l’accueillons avec une force et une volonté empreintes de fierté… Les enfants sont content·e·s, en bonne santé. C’est là le plus important!»

*Noms modifiés par la rédaction

 

Que signifie le terme «transgenre» exactement?

Les notions de «transsexualité» et de «transgenre» sont souvent employées à mauvais escient. Car ce n’est pas de sexualité dont il est question ici, mais bien d’identité. Tout le monde ne s’identifie pas au corps ni au genre qui lui a été attribué à la naissance. Peut-être avez-vous déjà entendu la phrase «Je ne suis pas né·e dans le bon corps», qui nous renvoie à cette question de la transidentité? Les personnes transgenre finissent souvent par effectuer une réassignation sexuelle, communément appelée «changement de sexe».